La figure du père se présente traditionnellement comme celle du parent protecteur qui accompagne son enfant au quotidien. Il le prépare à sa future vie d’adulte en visant son autonomisation progressive et en équilibrant le schéma maternel privilégiant la fonction nourricière et l’affection. Le père symbolise aussi l’autorité en fixant des limites et des interdits, tout en encourageant à l’initiative et la prise de risque mesurée, de manière bienveillante et responsable. Cette conception traditionnelle est proche de l’archétype du père, et au-delà du rôle que le père peut s’assigner lui-même par ses propres représentations, c’est souvent aussi le type de positionnement auquel les enfants répondent très favorablement et qui les rassure.
Une autre approche très neutre se limite à la fonction biologique, réduisant ainsi cet homme au rôle de géniteur, présent ou absent de la vie de l’enfant. On écrit « père » et « mère » dans les formulaires administratifs et non pas « papa » et « maman ».
Le mot « papa » (équivalent à « maman » pour la mère), pour sa part, ne fait pas débat. On emploie ce nom dans un sens affectueux, et on réserve son emploi à la sphère familiale. Il désigne le père présent et aimant, contribuant quotidiennement au développement de son enfant, qui joue avec lui, presque porteur des valeurs maternelles selon certains, mais toujours complémentaire à la mère et dans la coopération avec elle pour le bien-être de l’enfant au sein de la famille.
L’absence de père dans la vie d’un enfant est un manque aussi grand que celui d’une mère. En effet, lorsque le père a disparu de la vie des enfants (décès, démission de son rôle ou éviction par la mère), l’enfant devient souvent roi et perd ses repères. Les spécialistes sont unanimes, un enfant a besoin de ses deux parents. Question d’équilibre des rôles, de coopération nécessaire et de bon sens.
« Les jeunes hommes élevés sans leur père sont plus susceptibles d’échouer à l’école, de ne pas se lancer et d’avoir des démêlés avec la justice. Plus précisément, nous constatons que les hommes issus de familles où le père est présent ont environ deux fois plus de chances d’obtenir un diplôme universitaire, tandis que ceux issus de familles sans père ont presque deux fois plus de chances de finir en prison et environ 70 % plus de chances d’être oisifs (ne travaillant pas ou n’allant pas à l’université) au milieu de la vingtaine (…) Et cela sera particulièrement vrai dans les communautés où il y a beaucoup de garçons sans père. Ces communautés connaîtront plus d’échecs scolaires, plus de criminalité et plus de ce que nous appelons « les garçons au sous-sol », c’est-à-dire des jeunes hommes qui vivent simplement à la maison, sans travailler. Il existe aujourd’hui de nombreuses communautés de ce type aux États-Unis et en France, et nous savons tous qu’un grand nombre d’hommes sans père est synonyme de problèmes pour ces communautés. »
(Brad Wilcox, Professeur de sociologie à l’Université de Virginie, Une vaste étude américaine souligne le lourd impact socio-économique subit par les enfants qui grandissent avec des pères absents, Atlantico.fr)
Un enfant se fait à deux, il s’élève aussi à deux. Si nécessaire, pour s’en convaincre, quelques citations:
« Il est difficile, pour un enfant, de ne pas grandir avec ses deux parents. Chacun a son rôle et lui apporte ce dont il a besoin pour se développer dans les meilleures conditions. Grandir avec un père absent peut parfois être lourd de conséquences : manque, méfiance, baisse de l’estime de soi … »
(Ophélie Blanchard, Psychologies.com, 13 août 2020)
« La présence du père pondère et relativise celle de la mère »
(Nicole Prieur, thérapeute et auteure, Psychologies.com, 13 août 2020)
« Les pères ont une influence décisive sur l’avenir de leurs filles, sur la femme qu’elles deviendront »
(Alain Braconnier, médecin psychanalyste, Madame Le Figaro, 19 septembre 2021)
« C’est très important qu’aujourd’hui les hommes prennent réellement leur place auprès de l’enfants alors même que les jeunes générations souhaitent vraiment prendre leur place auprès de l’enfant, et de combiner le moins mal possible le travail et la famille, et et de prendre un rôle qui leur a été confisqué bien trop souvent à travers l’histoire »
(La naissance d’un père, Christine Castelain Meunier, sociologue et chercheuse au CNRS, RTS, 26 septembre 2020)
Par Yvon Dallaire, M. Ps Psychologue et auteur.
« La fonction maternelle est d’abord une fonction de matrice, de source nourricière, d’enveloppe, de réceptacle de vie, de
rétention. La mère représente l’abri, la sécurité, la protection, la chaleur, l’affection, la fusion, la compréhension… La mère
représente l’amour. La fonction du père en est une de séparation, d’expulsion du sein maternel, de distinction, de différenciation.
Le père doit éduquer ses enfants dans le sens étymologique du mot » educare » : faire sortir, tirer dehors, conduire au-dehors avec soin.
La fonction du père est de séparer l’enfant de la mère. Il doit s’interposer entre la mère et l’enfant pour permettre à l’enfant de développer son identité en dehors de la symbiose maternelle et rappeler à la mère qu’elle est aussi une femme, une amante, un être de plaisir, non seulement un être de devoir généreux. Si la mère représente l’amour fusionnel, le père représente les limites, les frontières, la séparation psychologique.
L’enfant a besoin de sentir toute l’attention de la mère pour découvrir sa puissance. Mais il a aussi besoin des interdits de son père pour connaître ses limites et apprendre à faire attention aux autres. L’enfant apprend, par sa mère, qu’il est au centre de l’univers, de son univers ; il doit apprendre, par son père, qu’il existe d’autres univers avec lesquels il devra collaborer pour survivre et s’épanouir. L’enfant doit apprendre à se situer à mi-chemin entre l’attitude du chat et du chien. Le chat se croit le maître en voyant tout ce que son » esclave » fait pour lui, alors que le chien perçoit son propriétaire comme son maître parce qu’il est capable de tout faire pour lui.
D’après les psychologues, la fonction paternelle se manifeste dans cinq secteurs précis :
Des découvertes scientifiques récentes ont révélé les modifications hormonales importantes affectant les jeunes pères suite à la naissance du bébé. Ce n’était pas intuitif pour qui valorisait excessivement la fonction maternelle et sous-estimait la fonction paternelle. Ainsi cette vieille idée répandue selon laquelle les mères seraient supérieures aux pères dans l’aptitude au soin du bébé, par disposition naturelle, du fait de leurs hormones, tend à voler en éclat. Il se trouve donc que la nature, surtout si on lui permet de s’exprimer (peau à peau entre papa et bébé, l’haptonomie, le temps passé avec le bébé facilité par les congés paternité et parental), a mis en un place un mécanisme de bouleversement hormonal également chez les pères, les prédisposant à s’impliquer plus et mieux avec les bébés (ce qui a à l’évidence favorisé la survie du bébé et donc de notre espèce), avec également pour incidence heureuse pour la jeune mère, un plus grand bien-être et une baisse de risque de dépression post-partum.
Les pères méritent donc manifestement d’être plus considérés et aussi étudiés.
« Si on connait mieux aujourd’hui le désordre hormonal qui accompagne une grossesse et une naissance chez une femme, on connait moins bien le phénomène chez les hommes. Et pourtant… On en parle avec Aline Schoentjes, sage-femme chez Amala. On a longtemps clamé que les pères n’étaient pas biologiquement et psychologiquement faits pour s’occuper des enfants comme le font les femmes. Mais on sait aujourd’hui qu’ils subissent eux aussi des transformations hormonales et cérébrales importantes lorsqu’ils deviennent parents ! Parler de la baisse de la testostérone chez les nouveaux pères reste un sujet un peu tabou, car se profile la peur de l’émasculation. Pas de crainte à avoir, les hommes continuent à faire des enfants ! La nature est bien faite !
L’effet de l’ocytocine. Des études ont montré que la baisse hormonale de la testostérone se produit juste avant ou après la naissance de l’enfant et que, plus elle est importante aux premiers jours après l’accouchement, plus le jeune papa va s’occuper de son enfant et s’impliquer dans les tâches ménagères.
Pourquoi donc ? Parce qu’en parallèle avec cette baisse de la testostérone, tous les chercheurs s’accordent sur une augmentation très significative de l’ocytocine, plus de 33% dans les 6 premiers mois du bébé.
Des papas shootés à l’ocytocine. En même temps que l’ocytocine augmente, on voit s’activer dans le cerveau du nouveau papa les zones liées à la reconnaissance des émotions sur le visage, celles qui permettent de comprendre l’état mental du bébé, une zone spécifique au parentage et les zones de la récompense, plus particulièrement parentale. Elle libère aussi de la dopamine dans une zone spécifique aux soins pro-actifs au bébé.
L’explication est donc là : en fait les papas sont shootés ! Comme les mères, ils sont drogués à l’ocytocine et à la dopamine. Plus ils s’occupent des petits et plus ils sont heureux. Plus le père vit avec son enfant et s’implique dans son éducation, plus ce renversement hormonal se prolonge longtemps.
Quelle différence alors entre la fonction mère et la fonction mère ? Un chercheur de Denver a observé que les pères présentent les mêmes changements cérébraux que les mères, au niveau anatomique : une augmentation de la matière grise dans les zones liées à l’attachement, à l’éducation, à l’empathie, à la capacité d’interpréter et de réagir de façon adéquate aux comportements de leur bébé.
Par contre, les zones les plus actives sont différentes. Chez les mères, elles se situent plus au centre du cerveau, là où se régulent les soins, l’éducation, la détection des risques… Alors que chez les pères, elles se situent plus en surface, orientées vers des fonctions cognitives : la réflexion, les objectifs à atteindre, la planification, la résolution de problèmes…
Ils vont donc s’occuper différemment de leur enfant, avoir des rôles et des comportements différents. Et les petits le sentent. Leur cerveau est synchrone avec celui de leurs parents, aussi quand il s’agit de produire de l’ocytocine. Le bébé fera donc le plein d’ocytocine et de dopamine chez papa, chez maman, mais dans des interactions très différentes et tout aussi essentielles à son bon développement. On peut donc rassurer les futurs papas, la nature a tout prévu pour les aider à devenir pères, à les satisfaire dans leur nouveau rôle : ils deviennent biologiquement parents à la naissance de leur enfant.
L’idéal serait de leur accorder un congé parental de plus de dix jours pour leur permettre de surfer sur cette vague biologique, ce qui par la même occasion permettrait aux mères de souffler. »
(Quand les nouveaux papas sont shootés à l’ocytocine, RTBF, 29 décembre 2020)
Si on ne donne pas l’occasion aux papas de s’investir, ce changement hormonal ne peut pas avoir lieu et les effets psycho-sociaux qui y sont liés non plus. Autrement dit, il y a moins d’attachement avec l’enfant. »
(Aline Schoentje, sage-femme et co-fondatrice à Amala Espace Naissance à Saint-Gilles, Bruxelles, 2022)
Une recherche, publiée dans la revue scientifique PNAS en 2011, a étudié le taux de testostérone chez 624 hommes sur une période de cinq ans. Il en ressort d’abord que les hommes avec un haut taux de testostérone étaient plus susceptibles d’être en couple et de devenir père après quatre ans de suivi. Autrement dit, l’hormone « de la virilité » permettrait de trouver plus rapidement une partenaire pour s’accoupler. Ensuite, ces hommes devenus papas ont vu leur taux de testostérone se réduire d’environ un tiers après la naissance de leur enfant, contrairement aux hommes restés sans enfant. Il en ressort aussi que les papas qui ont passé trois heures par jour ou plus à s’occuper du bébé ont un taux de testostérone plus faible que ceux qui ne s’impliquent pas dans le soin.
(Les papas aussi ont des changements hormonaux après une naissance, Marie-Laure Mathot, Le Ligueur, 18 novembre 2020)
Conclusions de cette étude : le taux de testostérone et la stratégie de reproduction de l’humain mâle s’adaptent en fonction des circonstances. La testostérone ne serait donc pas « juste » l’hormone de la virilité et de l’acte de reproduction, elle s’ajusterait aussi après celui-ci, en fonction de la paternité ou non. D’où la différence entre les hommes devenus pères et les autres. Les conclusions d’une autre étude réalisée en 2017 et publiée dans la revue Hormones and Behavior ont également montré que plus cette baisse de testostérone est grande, plus l’investissement du père après la naissance se passe bien et plus les mères se disent satisfaites de leur relation de couple pendant le post-partum.
(Les papas aussi ont des changements hormonaux après une naissance, Marie-Laure Mathot, Le Ligueur, 18 novembre 2020)
Le peau à peau avec papa favorise ce changement hormonal.
Les bienfaits du peau à peau pour le papa:
« Selon l’Office fédéral de la statistique, 89’402 enfants sont nés en Suisse en 2021. A peu près 15% des femmes – cela représente environ 13’500 femmes par année – tombent malades et souffrent d’une dépression post-partum (familièrement postnatale) ou psychose suite à cet événement que nous définissons souvent comme « joyeux ». Malheureusement cette maladie est peu connue et peut toucher les deux parents. 10 % des pères tombent malades. La plupart des femmes et hommes souffrent en silence. »
(Association Dépression Postpartale Suisse)
L’importance de la présence des deux parents pour un bon développement physique et psychique de l’enfant a été oubliée voire niée ces dernières décennies, y compris et surtout par ceux qui règlent le sort des enfants lors des séparations/divorces (pouvoir judiciaire, services sociaux …).
Tant de pères aimants et aptes (la majorité) ont été écartés de la vie de leurs enfants après la séparation d’avec leur mère (encore souvent idéalisée par notre société), alors qu’ils étaient quotidiennement présents durant la vie commune. Il n’y a pas que ces dizaines de milliers de pères qui en souffrent en Suisse, leurs enfants aussi car ils ont besoin de leurs deux parents pour se construire. En les privant d’une moitié d’eux-mêmes (et de la moitié de leur famille car il y a grands-parents paternels, demi-frères, demi-soeurs, cousins, oncle, tantes …), on les prive de la moitié de leurs origines.
Le pourcentage élevé de garde à la mère, le pourcentage très faible de garde au père, et surtout le trop faible pourcentage de garde alternée arrivée bien tardivement en Suisse (2017), les années qu’il a fallu pour rendre possible l’autorité parentale conjointe par défaut (2014), l’absence de médiation ordonnée généralisée par les tribunaux qui pourtant contribue à désamorcer tant de conflits potentiels, les difficultés énormes rencontrées par les pères à obtenir le respect de leurs droits de visite, le laxisme des institutions à cet égard, les enlèvements d’enfants (qui touchent les pères à 75%), le maintien d’une fiscalité inique qui les affectent très majoritairement, l’arrivée si tardive (2021) d’un congé paternité modeste (deux semaines) dont l’absence les privaient d’un démarrage de leur paternité dans de bonnes conditions, les violences physiques et psychologiques qui les touchent eux-aussi sans qu’elles soient étudiées et même tout simplement prises en compte, sont autant de preuves qui indiquent objectivement l’injustice et le non sens de ce manque de considération pour le nécessaire lien d’amour père-enfant.
La mort symbolique du père est encouragée et orchestrée publiquement, des prises de paroles sans retenue qui nient l’utilité même du père pour l’enfant et qui consacre la mère dans sa toute puissance, au détriment de l’intérêt de l’enfant. Cela même par des institutions et des médias qui prétendent pourtant oeuvrer pour l’égalité.
Tant d’exemples également de personnes publiques et irresponsables. En voici un, relevé par la journaliste Anna Lietti dans l’édition du 26 avril 2004 du journal Le Temps, qui commentait sur un ton ironique la décision de l’actrice américaine Angelina Jolie d’adopter un enfant en évitant surtout de s’encombrer d’un père.
Une bonne partie de nos malheurs viennent, en somme, de ce que les humains n’ont pas seulement une mère, mais aussi un père. L’actrice américaine Angelina Jolie l’a bien compris. Dans une interview à Paris-Match, elle raconte qu’elle vient d’adopter un petit Cambodgien, (…) et qu’elle n’envisage pas de vivre à nouveau avec un homme. Plus précisément: Angelina Jolie n’envisage pas de vivre avec un homme «parce qu»’elle veut beaucoup d’enfants: «Je ne veux pas les troubler», explique-t-elle.
(…) Et l’actrice de dessiner le nouvel horizon de la femme du XXIe siècle: «Mes relations avec les hommes et ma vie de famille seront séparées.»
Bon. Mais l’adoption, voire l’insémination artificielle restent des réponses imparfaites au défaut de fabrication de base de l’humanité, qui est la procréation sexuée. Son idéal de perfection, c’est la reproduction virginale.
(…)
C’est un grand jour, mes sœurs. Mieux que le clone (condamné à l’appauvrissement génétique), la souris Kaguya donne corps au fantasme féminin absolu, celui d’un monde complètement débarrassé des pères, voire des hommes tout court. Enfin la paix. Tout est tellement plus simple sans les mecs.
(Candide. Femme Nouvelle, de Anna Lietti, Le Temps, 26 avril 2004)
«Ne pas avoir un mari, ça m’expose plutôt à ne pas être violée, ne pas être tuée, ne pas être tabassée. Et ça évite que mes enfants le soient aussi»
(Alice Coffin, élue parisienne EELV)
« On ne peut supprimer le père au nom de l’égalité »
(Elizabeth Montfort, Le Figaro, 31 juillet 2020)
A ce propos, la reflexion de Jean Gabard, sur « L’évaporation de l’homme » (avril 2008) semble encore très actuelle. C’est un questionnement de la société dans son ensemble que nous appelons. Les exemples plus récents sont encore plus nombreux et plus frappants. Nous baignons dans une culture de l’effacement du père depuis des décennies.
RTS, le 25 novembre 2022)(Me Anne Reiser,
Depuis quelques décennies, la société est en plein bouleversement et de manière accélérée. D’une société où les fonctions familiales n’avaient pas bougé depuis longtemps et qui étaient attribuées aux unes et aux autres, aujourd’hui ces fonctions ont évolué. Le modèle unique de la famille stable caractérisé par le père au travail et la mère à la maison à s’occuper des enfants et du ménage est devenu minoritaire (en 2019 on ne le trouve que dans 18% des ménages » (OFS (2021) Les familles en Suisse – Rapport statistique, 5.4)). Aujourd’hui, la famille va du modèle traditionnel aux foyers monoparentaux, en passant par la famille recomposée. Il faut donc aider les pères aussi (mémoire de Père pour toujours Genève, 11 mai 2005). En les aidant, on aide leurs enfants.
Les tribunaux sont toujours en retard par rapport à l’évolution de la société. Très lentement, cependant, ils évoluent.
Ces dernières années, le Tribunal fédéral a lentement et progressivement donné des signes qu’il ne fallait pas déconsidérer totalement le temps que passent ensemble les enfants et leur père. Dans un premier temps, il a redéfini les conditions strictes à la limitation du droit de visite avec par exemple l’arrêt 5C.199/2004 (19 janvier 2004). Cet arrêt concernait un père argovien divorcé qui avait vu son droit de visite limité par le tribunal cantonal à un week-end par mois et deux semaines de vacances par année, en raison des relations conflictuelles qu’il entretenait avec son ex-épouse. Le TF demandait à la cour cantonale de revoir sa décision. Le TF estimait, certes, que le droit de visite pouvait être limité pour le bien de l’enfant. Mais cette option devait être choisie avec beaucoup de retenue si le fils ou la fille a de bons contacts avec le parent qui n’en a pas la garde. Il estimait que si le droit de visite pouvait venir par moments troubler le quotidien d’un enfant et le plonger dans un conflit de loyauté, ses effets à long terme ne sont pas à négliger (alors que nous savons que le conflit est souvent orchestré pour arriver à ce constat et ainsi priver le père de relation avec ses enfants, le Tribunal ne semblait pas vouloir regarder encore cette situation). Selon les psychologues, l’enfant a besoin de fréquenter régulièrement ses deux parents pour prendre confiance en lui et se forger une identité, puis, plus tard, surmonter la crise de l’adolescence et faire ses choix d’adulte.
Autre exemple de cette tendance naissante, la même année, un autre arrêt relatif au droit de visite pour le bien de l’enfant (Arrêt 5C.123/2004 du 15 juillet 2004). Le juge cantonal avait accordé à un père le droit de voir ses enfants deux dimanches par mois seulement. Il estimait qu’en limitant le droit de visite, les enfants souffriraient moins des relations conflictuelles de leurs parents. Le Tribunal fédéral (TF) voyait les choses autrement: comme les relations entre le père et ses enfants étaient bonnes, il n’y a pas de raison de restreindre le droit de visite. Celui-ci doit être préservé pour le bien du père, mais aussi pour celui des enfants. Il serait inadmissible que le parent ayant la garde des enfants puisse compromettre les droits de son ex-conjoint en cultivant la discorde.
Bien des années plus tard, sa mentalité ayant visiblement encore évolué favorablement vis-à-vis des besoins des enfants qui eux ont cependant toujours été les mêmes, le Tribunal Fédéral (TF) rendit un jugement significativement favorable à la garde alternée, qui fît date. Il s’agit de l’arrêt 5A_888/2016 du 20 avril 2018 (en allemand). Voici quelques extraits et considérants (en allemand) de ce jugement du Tribunal cantonal de Bâle-Campagne, validé par le TF et ces mêmes extraits et considérants traduits librement en français.
Le Tribunal fédéral confirme cette tendance progressivement au rééquilibrage des excès passés en affirmant deux ans plus tard qu’un enfant en bas âge a besoin de son père et que le droit de visite « usuel » est insuffisant pour assurer ce besoin (arrêt 5A.290/2020, 8 décembre 2020). Le TF reconnait ainsi l’importance de relations allant au-delà du droit de visite usuel pour les enfants en bas âge (le jeune âge des enfants était auparavant un critère d’exclusion du père beaucoup plus assumé par les tribunaux dans leur pratique). Le TF annule ainsi une décision du tribunal cantonal argovien qui avait réglé les relations de manière trop restrictive (deux visites par mois) et n’avait pas tenu compte que les petits enfants avaient besoin, du fait de la manière dont ils appréhendent la perception du temps, d’un droit de visite beaucoup plus fréquent (Le Tribunal fédéral le confirme, un enfant en bas âge a besoin de son père, 20 Minutes, 29 janvier 2021).
La tendance ne fait que s’amplifier. La proportion des pères qui prennent un temps partiel augmente alors que le taux de travail des mères augmente.
Il y a un mécanisme de vases communicants: les pères s’impliquent plus avec les enfants et les mères moins, ce qui est rendu possible par une plus grande implication professionnelle des mères et une moins grande implication professionnelle des pères. Le congé paternel renforce lui aussi la tendance en facilitant un attachement plus grand entre le jeune papa et le bébé, conduisant le père à s’impliquer plus dès le début, ce qui soulage la jeune maman en allant dans le sens d’une répartition des rôles plus équilibrée. Cette tendance générale ne peut que s’accroître avec le souci d’égalité qui est très présent de nos jours. Nous avançons progressivement vers la coparetalité égalitaire. (Les nouveaux pères : ces hommes qui ne veulent pas gagner plus d’argent, mais plus de temps auprès de leurs enfants, Marie Muret, Madame Figaro, 18 mars 2022).
« Le rôle des pères a beaucoup évolué depuis 50 ans. En 1965, aux États-Unis, les pères passaient en moyenne 2,6 heures par semaine à s’occuper de leurs enfants. En 2000, ce chiffre atteignait 6,5 heures. Aujourd’hui, il y a trois fois plus de pères au foyer qu’il y a dix ans, et les familles où le père élève seul ses enfants se multiplient.
(Les nouveaux pères, Emily Anthes, CERVEAU & PSYCHO N° 41, Septembre 2010)
« Une autre échelle de valeur apparaît, qui modifie la hiérarchie entre investissement professionnel et investissement familial. À côté du père, d’emblée considéré comme le pourvoyeur économique du foyer, émerge un « nouveau » père qui n’entend pas sacrifier sa famille ni l’éducation de ses enfants à sa carrière. »
(« Des nouveaux pères mieux préparés à une éventuelle séparation », Christine Castelain Meunier, sociologue et chercheuse, La Croix, 5 février 2020)
Pour permettre l’exercice effectif des responsabilités éducatives, malgré une séparation conjugale, il convient notamment d’encourager les mesures en faveur d’une meilleure harmonisation des temps professionnels et des temps familiaux, notamment à travers la charte parentale des entreprises. N’oublions pas que le travailleur est aussi, souvent, un père !
(« Des nouveaux pères mieux préparés à une éventuelle séparation », Christine Castelain Meunier, sociologue et chercheuse, La Croix, 5 février 2020)
Certains voient dans ce nouveau modèle de père, un père « partenaire et propulseur » (Jean Le Camus et Monique Eizenberg, Le Temps, 11 juin 2022)
Blick, 23 janvier 2023)(
Ce sujet très douloureux est peu médiatisé car il écorne l’image idéalisée de la figure maternelle. C’est pourtant une réalité qu’il est nécessaire d’évoquer car elle concerne également le lien père enfant.
« Certains de mes clients n’ont jamais su quel était le prénom de leur enfant, alors même que la mère leur demandait de l’assumer financièrement et psychologiquement. Dans la majeure partie des cas, ces femmes ne proposent pas de mettre en place des relations entre l’enfant et le père. Il faudrait que la toute puissance maternelle puisse être un peu grignotée. »
(Mary Plard, Pères, à leur corps défendant, 14 janvier 2013)
« Une paternité imposée est le processus par lequel une femme donne naissance à un enfant contre la volonté du père biologique, et parfois à son insu.
Il existe plusieurs cas de figure :
Dans tous ces cas, il s’agit d’une violence faite à des hommes exclusivement, qui les laisse totalement démunis. La loi ne leur offre en effet aucune possibilité d’empêcher une paternité ou d’en refuser la responsabilité. Même s’ils ont un doute, ils ne peuvent le vérifier puisque n’étant pas autorisés à utiliser le test de paternité.
Il y a là une inégalité manifeste des droits, les femmes, elles, bénéficiant de plusieurs possibilités d’enrayer une grossesse ou de renoncer à une naissance non-voulue : pilule du lendemain, IVG, accouchement sous X*.
Les hoministes revendiquent donc pour les hommes en relation ponctuelle qui ne souhaitent pas une naissance :
Et pour les hommes en couple, en cas de doute sur leur paternité, dès la naissance et dans un délai à définir, la possibilité de recourir au test de paternité, ce qui leur permettra si le résultat en est négatif et s’ils le souhaitent d’obtenir ensuite l’annulation de la paternité. » (La Cause des hommes, des femmes, des enfants)
* L’accouchement sous X n’existe pas en Suisse. Par contre, il y a les boîtes à bébés.
« Il y a un vide juridique, en tout cas. Mais c’est aussi parce que les hommes n’ont jamais rien réclamé ! Si on se situe au moment de la conception, on a deux adultes responsables et consentants (en excluant évidemment tout cas de déviance, de pathologie et d’agression) qui partagent une relation sexuelle. Si la femme tombe enceinte, les deux n’ont plus du tout les mêmes cartes en main : la femme a la possibilité de garder l’enfant, de prendre la pilule du lendemain, d’avorter, voire même d’abandonner leur enfant en accouchant sous X. Mais l’homme, face à ça, ne peut rien. Et personne ne s’est jamais interrogé sur sa place. »
(Mary Plard, Pères, à leur corps défendant, 14 janvier 2013)
Le Groupe d’Etudes sur les Sexismes a rédigé un dossier remarquable développant les points suivants:
« Paternités imposées » : des hommes condamnés à être « pères malgré eux », 8 janvier 2015)(Mary Plard,
Ces violences faites aux hommes commencent tout juste à être reconnues par la justice comme dans le cas d’une femme qui a percé les préservatifs de son partenaire reconnue coupable d’agression sexuelle en Allemagne. Cette condamnation exceptionnelle est due au fait qu’elle a avoué avoir volontairement endommagé les préservatifs.
Le livre de référence sur ce sujet est « Paternités imposées » de l’avocate Mary Plard (préface de Renaud Van Ruymbeke).
« Il doit y avoir une réflexion des hommes sur leur implication dans ces questions. Si les hommes portaient les enfants, ils auraient depuis longtemps leur pilule contraceptive ! Ceux que j’ai reçus m’ont donné l’impression de petits garçons qui avaient fait une grosse bêtise. Dans leur tête, la procréation, c’était une histoire de femmes. Or, ils doivent aussi s’en préoccuper. «
(Mary Plard, Pères, à leur corps défendant, 14 janvier 2013)
« Être juste, juste pour tous, pour les femmes et pour les hommes, devant la loi. La liberté de la femme d’avoir et de porter sereinement un enfant doit s’exercer dans le respect de celle du père de concevoir puis d’avoir un enfant. La liberté de l’une ne peut s’épanouir au détriment de la liberté de l’autre. »
(commentaire d’une lectrice réagissant au livre « Paternités imposées » de Mary Plard, 11 août 2015)
Des réflexions en marge de ce sujet ont cours, le Conseil fédéral songeant à accorder aux pères biologiques un droit d’action en paternité. Et même de donner aux maris trompés la possibilité de contester la paternité. Un droit qu’ils ont déjà, mais dans le délai restreint de cinq ans après la naissance seulement. (20 Minutes, 23 janvier 2022)
« 15% des enfants ne sont pas de leur père putatif » (celui qui est réputé légalement comme le père d’un enfant)
(urologues suisses)
En attendant un hypothétique et lointain changement de la loi permettant aux hommes dans ces cas de figure de renoncer à toute responsabilité concernant l’enfant (imposé) à naître, il ne reste que la vasectomie (en pleine progression) comme solution parfaitement efficace, non remboursée par les assurances et disponible depuis de très nombreuses années. La vasectomie protège ainsi l’homme d’une paternité imposée sans lui interdire de procréer s’il le souhaite encore après cette intervention car d’une part avant l’intervention, celui-ci peut faire conserver sa semence (comme pour les inséminations classiques) et d’autre part il peut encore après la vasectomie se faire prélever sa semence dans les testicules (nécessite alors une intervention, se fait donc moins). Notons que dans les deux cas, ceci implique que la conception de l’enfant ne se fera plus de manière « naturelle » par l’acte amoureux.
Dans quelques années, nous devrions voir apparaître la pilule contraceptive masculine hormonale ou non hormonale. La pilule contraceptive masculine non hormonale a été testée avec succès sur des souris et les tests sur les hommes ont commencé ou vont commencer sous peu. Nous voyons dans la pilule contraceptive masculine, l’instrument du rétablissement de l’égalité homme femme pour le contrôle de leur procréation dans la mesure où chacun deviendra décideur et pourra ne pas reposer sur la volonté de l’autre de respecter ou non le contrat de confiance.
Ils sont de plus en plus nombreux.
L’émission Temps Présent (2017) aborde le sujet des pères qui gèrent seuls leurs enfants.
Ils sont pères et élèvent seuls leurs enfants. En Suisse, ils ne sont que 8%. D’habitude ce sont plutôt les mères qui obtiennent la garde. Alors quels sont les défis quotidiens de ces papas en solo? Parviennent-ils à conjuguer vie familiale, vie affective et carrière professionnelle? Comment remplacent-ils la mère manquante? Trois pères et leurs enfants se livrent sur les joies, les doutes et les difficultés de ce modèle familial en solo.
(Papa solo, RTS, Temps présent, 2 février 2017)